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>>N’ayons pas peur des migrations !

20 octobre 2024
Posté par : 

Bloc notes d’Alexandre Adler, extrait du journal Courrier International

 Il y a une pensée à la Paco Rabanne des migrations humaines qui ferait volontiers de notre XXIe siècle commençant une sorte d’Empire romain à la dérive, où de tous côtés de nouveaux barbares perceraient le limes de la civilisation occidentale. Peu importe ici la méfiance xénophobe de pareilles représentations, puisque cette vision est fausse : si la brutale accélération démographique du XXe siècle, provoquée par la soudaine diffusion du savoir médical et la chute très rapide de la mortalité, a d’abord fait revivre les craintes malthusiennes d’un déséquilibre entre population et ressources, la régulation, spontanée ou parfois organisée par l’Etat (en Chine), est intervenue plus vite que prévu. La décélération de la natalité est chose faite sur une grande partie de la planète - y compris dans certains pays du tiers-monde comme le Sri Lanka et dans toute l’Amérique latine -, ne maintenant de fortes et déstabilisantes poussées qu’en Inde et dans une Afrique noire encore assez faiblement peuplée au regard de sa superficie et de ses ressources potentielles.

 Les mouvements migratoires eux-mêmes demeurent, à l’échelle de ces phénomènes de fond, relativement limités.

 Premier cas : nous avons un mouvement quasi naturel provoqué par le déséquilibre entre population et ressources. Ici, les frontières politiques, ou parfois internes à un même Etat, constituent à l’évidence des barrières trop étanches. La dessiccation du Sahara et du Sahel, accélérée par le réchauffement de la planète et par la pression démographique, va entraîner un repli des peuples du nord vers le sud de l’Afrique occidentale, où ils sont souvent mal accueillis : du Sénégal au Tchad, en passant par la Côte-d’Ivoire et le Nigeria, c’est ce problème qui provoque aujourd’hui toutes les tensions, y compris religieuses (l’islamisation fondamentaliste des Haoussa du Niger et du Nigeria) ou tribales (la Casamance contre le Nord wolof au Sénégal). Or, en Afrique occidentale, la libre circulation des personnes est pour l’instant impensable : il faudrait commencer par celle des biens à travers un marché commun véritable.

 Un problème presque équivalent se pose dans l’espace chinois élargi, moins au Tibet, dont l’environnement montagnard reste dissuasif pour un peuplement han autre qu’urbain, mais partout ailleurs sur les périphéries de l’oekoumène sino-confucéen. Le Xinjiang kazakh et ouïgour est ainsi devenu, ces quarante dernières années, une terre majoritairement han, les Chinois du Yunnan glissent comme par gravité vers les hautes terres birmanes encore vides et transforment peu à peu les villes d’Asie du Sud-Est - Bangkok depuis le début du siècle, Mandalay aujourd’hui, Rangoon bientôt - en autant de nouveaux Canton ou Singapour. Les Russes de Sibérie craignent qu’il n’en aille bientôt de même à Vladivostok, Khabarovsk et dans tout l’Extrême-Orient russe, à l’est du lac Baïkal.

 Le second mouvement migratoire aux conséquences géopolitiques immenses appartient non plus au modèle agraire, mais à celui de la société industrielle : transfert des campagnes vers les agglomérations urbaines, parfois sur de longues distances. C’est celui qui porte le flux de la population hispanophone du Mexique, de l’Amérique centrale et de la Caraïbe vers l’Amérique du Nord, arasant peu à peu la frontière politique, dans les deux sens, entre San Diego-Tijuana sur le Pacifique et Brownsville-Matamoros sur le golfe du Mexique. Miami est ainsi devenue la capitale d’une Amérique latine virtuelle, tout comme Chicago, au début du XXe siècle, régnait sur une seconde Europe centrale. A terme, ce mouvement provoquera l’unification plus rapide que prévu du continent américain, par hispanisation progressive de la population d’Amérique du Nord, anglicisation des élites d’Amérique latine et croissance des revenus individuels au sud du Rio Grande.

 Un tel modèle est-il pensable pour le Maghreb et l’Afrique noire vis-à-vis de l’Union européenne, et pour la Turquie vis-à-vis de l’Europe centrale ? Probablement pas. La résistance des Européens à une croissance trop rapide d’une population musulmane non assimilée culturellement ira plutôt en s’accroissant pendant un temps et ne permettra pas de relâchement rapide des contrôles aux frontières. Certes, le “goutte-à-goutte” continuera, mais aussi, parallèlement, la recherche de solutions autres : la croissance forte de la Turquie et la multiplication des investissements directs européens et américains sur son territoire sont déjà en train de tarir peu à peu la préférence à l’immigration, si forte dans les années 60. Le développement de la démocratie n’est pas non plus pour rien dans cette récente évolution : c’est ainsi que l’Italie, puis l’Espagne ont cessé, l’une il y a trente ans, l’autre il y a vingt ans, d’être des pays d’émigration. Le même processus atteint la Grèce, pour gagner bientôt la Turquie et, plus tard, espérons-le, un Maghreb enfin unifié et démocratisé. Restent alors des phénomènes plus discrets, plus qualitatifs, mais qui ne sont pas moins prégnants : la fuite des cerveaux, la migration des talents. La France est affectée par cette tendance, en raison de l’excellence et de la gratuité de son système de formation des élites (cela ne durera guère) et de la médiocrité de son esprit d’entreprise : elle pourrait bien se retrouver avec la Russie et l’Inde parmi les grands pourvoyeurs de personnel qualifié pour les centres nerveux de la nouvelle économie mondiale.

 Enfin, l’équilibre des régimes de sécurité sociale requerra une certaine maîtrise de l’immigration, mais moins qu’on ne l’imagine : on peut encore repousser l’âge de la retraite par volontariat, changer la fiscalité des investissements de productivité et surtout multiplier les placements à l’étranger pour rémunérer les systèmes de santé et les pensions. Dans cette voie, le Japon, qui possède la pyramide démographique la plus déséquilibrée, sera sans doute un pionnier.

Courrier International, http://www.courrierinternational.com

Vos commentaires sur cet article

  • Quotation of Plato

    24 novembre 2009, par imwiseman
    There’s a victory, and defeat ; the first and best of victories, the lowest and worst of defeats which each man gains or sustains at the hands not of another, but of himself. Quotation of Plato

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